Le 27 mai 1968, en pleine grève générale, les accords de Grenelle sont signés entre syndicats, patronat et gouvernement. Trois jours plus tard, c'en est fini de mai 68... du moins dans la rue. Car dans les textes, le droit du travail a été profondément bouleversé: Grenelle marque le début d'un mouvement législatif plus protecteur pour les salariés.
Les effets directs:
- Le SMIG augmente de 35% (+56% pour les salariés agricoles).
- Les salaires augmentent de 10% en moyenne.
- La section syndicale d’entreprise et l’exercice du droit syndical dans l’entreprise sont reconnus par la loi.
- Le passage par étapes aux 40 heures de travail hebdomadaire est acté.
- Les conventions collectives sont révisées. La part des primes dans la rémunération diminue au profit de celle du salaire.
- L'accès au remboursement des soins (visites et consultations) par la Sécurité sociale est élargi.
Les négociations par branches et entreprises vont
amplifier les acquis du constat de
Grenelle.
En matière de salaires, des augmentations substantielles s’ajoutent aux acquis du constat de Grenelle: + 18 % dans l’habillement, +12% à +46% dans le Bâtiment, +28% dans la Chimie.
De nombreux secteurs d’activité obtiennent des réductions du temps de travail et des congés supplémentaires : passage de 48h à 45 heures dans l’agriculture, de 48h à 42h dans le papier-carton, de 46h à 44h30 chez les cheminots, de 45h à 42h dans la santé publique...
L'exercice du droit syndical est facilité dans certaines entreprises. Chez Citroën par exemple, les délégués syndicaux bénéficient de 120 heures mensuelles de délégation.
Les effets indirects:
- 1973: le législateur subordonne l'exercice du droit de licenciement à l'existence d'un motif réel et sérieux.
- 1982: promulgation des lois Auroux, références en matière de relations sociales dans l'entreprise. "Les travailleurs doivent être citoyens à part entière dans l'entreprise", affirme alors leur inspirateur, le député PS Jean Auroux. Protection des libertés individuelles et collectives dans l'entreprise, encadrement des pouvoirs disciplinaires du chef d'entreprise, obligation annuelle de négociation collective sur les salaires, la durée et l'organisation du travail et création du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Au-delà des textes, l'esprit de Grenelle baigne la jurisprudence
des Prud'hommes et de la chambre sociale de la Cour de cassation.
Parallèlement, les syndicats, qui dans un premier temps avaient enregistré un afflux d'adhésions (environ cent mille à la CFDT, quatre cent mille à la CGT), ont vu leur légitimité s'éroder au fil des décennies.
Aujourd'hui, "la bureaucratie syndicale" est même accusée par certains de compromission avec les suppôts du néo-libéralisme. En cause, l'accord de "modernisation du marché du travail" signé en janvier avec le patronat par quatre grands syndicats (FO, CFDT, CFTC, CFE-CGC), et qui s'inscrit dans un mouvement de libéralisation du marché du travail français.
40 ans après Grenelle, on détricote le code du travail
Jean-Louis Borie, avocat spécialisé dans le contentieux des licenciements économiques, explique: "depuis les années 1980, on est face à un mouvement de détricotage du code du travail qui s'est particulièrement accéléré ces derniers temps sous couvert de modernisation. Il prend notamment trois formes: la remise en cause du principe de faveur, la recodification du code du travail et la simplification de la rupture du contrat de travail."
Le principe de faveur est un principal fondamental en droit du travail, qui permet à une disposition conventionnelle, comme un accord de branche, de déroger à la loi si elle est plus favorable au salarié que la norme législative. "Il est désormais possible à un accord de branche de déroger à la loi sans être plus favorable. Les patrons veulent revenir sur le temps de travail, les heures supplémentaires ou la mobilité géographique: ils vont avoir les moyens de le faire" indique Jean-Louis Borie, qui y voit une atteinte grave à la philosophie de protection des salariés.
En discussion depuis début 2007, la recodification du code du travail va se faire "à droit constant", c'est à dire que le fond du droit ne sera pas altéré. Toutefois, Jean-Louis Borie pointe deux pratiques peu favorables aux salariés: "on éparpille les textes, ce qui rend le travail des avocats des salariés difficile. Mais surtout, de nombreux domaines qui étaient du domaine de la Loi vont passer dans le domaine règlementaire, ce qui veut dire qu'ils seront plus facilement et plus discrètement modifiables par le gouvernement".
Directement en lien avec l'accord global de janvier, la création d'une troisième voie pour rompre un contrat de travail. "Avant, soit on démissionnait, soit on était licencié. Désormais, il sera possible de rompre le contrat de travail à l'amiable. Pour moi, cela augmente les marges d'actions des dirigeants de sociétés pour se séparer plus facilement des employés, qui ont moins de sécurité".
Herwin Bere et Alvin Agades
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