La remise en cause de l'entreprise en mai 68 est un des enjeux majeurs du conflit et pourtant il est le moins discuté et le plus lent à se mettre en place. Les grèves ouvrières réunissent 8 à 9 millions de personnes et ne sont pas initiées par les syndicats. Il s'agit là d'une critique en profondeur d'un modèle d'entreprise bureaucratique et rationnel qui ne satisfait plus.
Qu'est-ce que le modèle bureaucratique et rationnel?
Pierre-Eric Tixier, sociologue des organisations nous explique: "Les entreprises de l'époque reposent sur une segmentation des activités et de la main d'oeuvre. Les ouvriers spécialisés (les fameux OS) sont considérés uniquement comme des exécutants. Les choix sont faits par le "service des méthodes" et le rôle des contre maître est uniquement de faire respecter les consignes. Ceci leur vaudra le surnom de garde chiourme emprunté au langage des galères." Dans cette organisation, les syndicats font le pont entre la direction et les ouvriers. Le syndicat majoritaire à l'époque, la CGT, propose une analyse unifiante (marxiste) de la classe ouvrière. Ceci cadre mal avec le désir d'auto-gestion et d'autonomie et l'individualisme portés par le printemps 68.
Et les patrons dans tout ça?
D'après M. Tixier, eux aussi remettent en cause l'organisation rationnelle. "En 1968 et dans les années qui suivent, on connaît une période de plein emploi. Dans ce contexte les patrons font face à un fort turn over de leurs ouvriers ainsi qu'un fort absentéisme. Ceci va les amener à se questionner, eux aussi, sur le modèle taylorien de l'entreprise."
De là vont naître des réflexions sur les conditions de travail (peu portées par la CGT qui s'intéresse plus aux salaires) avec notamment la création d'une Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail en 1973 et d'une agence européenne sur le même thème en 1975. Et pourtant aujourd'hui encore le suicide et le malaise au travail sont très répandu.
"Le mouvement de 68 est invitation à la réflexion sur les modes d'organisation du travail. Il traduit une remise en cause des formes d'organisation dites rationnelles mais il ne propose pas d'idéologie substitutives. Il soutien le développement de nouveaux processus de production et cela prend du temps, précise le sociologue." Les initiatives qui vont naître déclinent quelques thèmes récurrents
- donner plus de polyvalence aux ouvriers
- donner plus d'autonomie aux acteurs
- reconnaître le syndicalisme
- étendre la formation continue
On expérimente des formes d'organisations mixtes comme par exemple le "créatif à temps partiel",
l'ouvrier se voit demander son avis pour améliorer les chaines de
productions, on fait descendre la prise de responsabilité plus bas dans
l'échelle hiérarchique de l'entreprise...
On voit bien que certaines de ces problématiques sont toujours d'actualité. Mai 68 a soulevé un problème qui reste à régler.
L'amélioration de la vie au travail ne passe pas seulement par une remise en cause du mode de production, à l'instar des étudiants, les ouvriers veulent profiter le la vie, de la liberté et de la paix, bref "ne pas perdre sa vie à travailler" selon Pierre-Eric Tixier.
Ainsi des entreprises de service aux employés ont vu le jour et des patrons ont pris des intiatives pour le bien être de leurs employés. Cependant comme pour la refonte du modèle organisationnel, ceci a pris du temps. "Nous sommes héritiers de mai 68 sur les idées (l'épanouissement personnel) mais les héritiers des années 90 pour la mise en pratique, Stéphanie Cardot Directrice Générale de To Do Today."
Cette entreprise de service à la personne, la première du genre en France, a vu le jour en 2001. Ces quarantes dernières années, la notion de bien être en entreprise s'est développée pour les cadres: espace détente, salle de gym... To Do Today ne s'adresse pas aux cadres. Ils proposent aux employés de leurs clients des services allant de la crèche sur le lieu de travail à l'atelier bien être en passant par la conciergerie. Par exmple si vous voulez organiser un petit repas avec votre conjoint(e) la semaine prochaine vous pouvez demandez au concierge todotoday de trouver un baby sitter!
"Récemment nous avons passer un test très positif avec une marque de grande distribution, raconte Stéphanie Cardot. Nous avons installé un centre de massage et de relaxation ouvert toute la journée pour leurs caissières. L'absentéisme a reculé de 5 points et la marque veut étendre l'expérience à d'autres magasins."
Ce sont là les avantages pour les chefs d'entreprises. Les clients de To Do Today voient leur absentésime et leur taux d'arrêt maladie baisser et donc leur productivité augmenter.
Mais si tout lemonde est content, pourquoi avoir attendu si longtemps pour appliquer les principes de 68?
Selon Stéphaie Cardot, les coupables ne sont pas forcément ceux que l'on croît.
"Des projets de service aux personnes dans des entreprises ont échoué à cause... des syndicats!
Les syndicalistes traditionnels ont peur que leur direction ne leur
fasse payer cette effort dans leur salaire ou autre. Certains ne
comprennent pas qu'un patron puisse miser sur le bien être pour
développer son entreprise."
Cette initiative qui "ne règle pas tout" apporte un peu de nouveauté là où les réponses traditionnelles développées depuis 68 (médecine du travail, assistante sociale et syndicats) n'ont connues que peu de succès. D'ailleurs il existe maintenant une vingtaine d'entreprise qui propose des services plus ou moins similaires à ceux de To Do Today. Les 68ards manquaient peut-être d'imagination.
Yul Grejes
Taipei, 9h du matin. Ce sont une trentaine de personnes, pantalon gris, chemise blanche et cravate orange, qui font leur gymnastique du matin sur un trottoir... Je ne sais pas pour quelle entreprise ils travaillent, ni si ça les rend plus sereins pour affronter leur longue de journée de travail!
Rédigé par : Dodo | 23 mai 2008 à 04:29