Délire commémoratif, suite. La vogue "Mai 68, le retour" atteint des sommets depuis que nous sommes vraiment entrés dans le mois de mai 2008.
Nouvel exemple, cette fois, dans l'assiette des bourgeois, ceux dont on n'a pas pas accroché la tête au bout d'un pic il y a quarante ans, et qui vont faire leurs courses chez Fauchon, la luxueuse enseigne de la place de la Madeleine, dans l'ultrachic 8ème arrondissement de Paris.
La prestigieuse boutique propose en ce moment un thé spécial "Mai 68". La boîte de couleur rose (comme le magasin) s'est emparée de l'iconographie de 68 pour l'occasion : on y retrouve des images de manifestations, des graffitis et quelques slogans fameux ("l'imagination au pouvoir", "la poésie est dans la rue", etc.). Pas de quoi effrayer les bourgeois du quartier : ils pourront continuer à déguster leur thé tranquillement, entre amis, sans crainte d'affronter les révoltes populaires.
Au dos de la boîte, une courte explication vante les mérites de ce thé vert de Chine, aux extraits de pamplemousse et de fruits exotiques, agrémentés de quelques touches fleuries de rose (un mélange à l'odeur délicieuse - soit dit en passant...) :
4 ou 5 minutes
Idéal dans l'après-midi avec des desserts
Un thé au parfum de révolution
L'objet est la preuve (une de plus !) que Mai 68, qui relève depuis longtemps déjà du mythe, est devenu à l'occasion de ce quarantième anniversaire, célébré sans mesure, un événement galvaudé, dont le sens historique a disparu.
Autrement dit, une marque que les publicitaires ont su revisiter en faisant croire qu'elle conservait une dimension de révolte (le filon avait déjà été exploité par Michel-Edouard Leclerc en 2005, lors d'une campagne publicitaire contestée).
Aujourd'hui, tout le monde y va de son Mai 68, alors pourquoi pas Fauchon ! La boutique haute gamme veut aussi sa part du gâteau, comme les autres. Et peu importe si l'image de luxe qu'elle véhicule est aux antipodes de celle de Mai. Que Fauchon reprenne la marque "Mai 68" est tout à fait significatif : l'événement vieux de quarante ans a sans doute tellement peu à dire aujourd'hui qu'il est devenu le cliché d'une France raffinée et gentiment rebelle, la France de carte postale, celle que les touristes viennent chercher dans les rayons de Fauchon...
Le coffret collector commercialisé par la boutique de luxe vaut 15 euros, pour 100 grammes de marchandise (soit 15 centimes le gramme). Mais après tout, la révolution n'a pas de prix. Surtout à l'heure du thé.
Mic Gaure d'Imaur
Et tant qu'à faire, rappelons l'action coup de poing de Gauche Prolétarienne (maos héritiers directs de 68) le 8 mai 1970 qui a pillé Fauchon pour aller en distribuer les produits aux travailleurs immigrés des bidonvilles aux portes de Paris.
Comme dirait Sylvain Wiltord : on r'met ça ?
Rédigé par : Arthur Cembrese | 13 mai 2008 à 19:41